Lettre ouverte pour la création urgente d’un Ordre National des Conseillers Indépendants en Agriculture dans chaque État membre de l’Union Européenne
À celles et ceux qui croient en l’agriculture, en la science et en l’intérêt général,
Nous ne pouvons plus détourner le regard.
La question est simple, brutale, et trop longtemps évitée :
Qui conseille réellement les agriculteurs aujourd’hui ? Et dans quel intérêt ?
En Europe, plus de 90 % du conseil agricole est aujourd’hui délivré par des structures dont le modèle économique repose sur la vente de produits : coopératives, négociants, distributeurs, groupes agro-industriels et dans certains pays les producteurs de pesticides eux-mêmes.
Autrement dit : ceux qui vendent conseillent. Et ceux qui conseillent vendent.
Cette confusion des rôles n’est pas un simple défaut.
C’est une faille structurelle, aux conséquences profondes et durables.
Elle entretient une dépendance économique des agriculteurs, banalise l’usage systématique de pesticides souvent sans justification agronomique solide et encourage la diffusion de « solutions packagées » standardisées, regroupant semences, produits phytosanitaires, engrais ou biostimulants.
Ces packs en tout genre, très souvent conçus par les fabricants d’intrants eux-mêmes, sont d’abord pensés pour optimiser les volumes de vente, bien plus que pour répondre aux besoins réels du terrain.
Ils sont parfois présentés comme des « offres techniques » alors qu’ils relèvent avant tout d’une stratégie commerciale visant à rendre les offres segmentées par distributeur pour maintenir les marges au minimum….
Pire encore, il est désormais courant de voir des technico-commerciaux proposer – et vendre – des pesticides jusqu’à 10 à 12 mois à l’avance, en pleine morte-saison, alors même que les cultures ne sont ni implantées, ni même définies. Et cela, pour des raisons de « logistique commerciale », et non pour des raisons techniques.
Autrement dit : on prescrit avant même de connaître les conditions agronomiques, les aléas climatiques, les besoins réels ou les risques spécifiques du terrain.
Ce ne sont plus des recommandations techniques.
Ce sont des plans de vente anticipés, intégrés dans des objectifs commerciaux, totalement détachés de toute logique agronomique raisonnée.
Ces pratiques vident le conseil de son sens.
Elles privent les agriculteurs d’un accompagnement impartial, déconnectent l’acte de conseil de l’observation du vivant, et transforment l’accompagnement agricole en simple exécution d’un catalogue de produits.
Et le plus inquiétant, c’est que certains distributeurs bénéficiant de subventions publiques importantes pour former leurs technico-commerciaux à la transition agroécologique continuent à envoyer directement certains de leurs fournisseurs sur les exploitations pour vendre, à la place même de leurs conseillers formés.
Un double discours, financé par l’argent public, qui ne fait que renforcer la confusion entre conseil et commerce.
Nous tirons la sonnette d’alarme.
Le conseil agricole ne peut plus rester l’angle mort des politiques agricoles européennes.
Il ne peut plus être l’outil discret mais efficace d’un système qui confond accompagnement et chiffre d’affaires.
Il ne peut plus ignorer les exigences de rigueur scientifique, d’adaptation locale et de responsabilité environnementale.
Il est urgent d’agir.
Nous appelons à la création immédiate d’un Ordre National des Conseillers Indépendants en Agriculture dans chaque État membre de l’Union européenne, en plus de la Directive SUD.
Un ordre professionnel au service exclusif de l’intérêt général.
Un cadre clair, opposable, éthique et transparent.
Un outil de reconnaissance, de régulation et de protection d’un métier stratégique, encore trop souvent invisible, mais au cœur des décisions agricoles.
Cet Ordre serait :
- Totalement indépendant des intérêts commerciaux, syndicaux ou politiques,
- Fondé sur une charte déontologique exigeante,
- Garant de la reconnaissance du titre de conseiller indépendant,
- Assorti d’une exigence de formation continue, d’une évaluation des pratiques, et d’un pouvoir de sanction en cas de dérive.
Il permettrait d’encadrer la profession, de redonner du sens au mot « conseil », et de garantir aux agriculteurs un accompagnement neutre, rigoureux, contextualisé, libéré des logiques de prescription préétablie.
Ce que nous défendons, ce n’est pas un privilège.
C’est une exigence de clarté, de compétence et de responsabilité.
Parce qu’on ne construira pas la transition agroécologique avec des bons de commande rédigés en hiver pour des cultures encore inexistantes.
Parce qu’il ne peut y avoir de confiance sans indépendance.
Parce qu’il ne peut y avoir de souveraineté sans liberté de choix.
Le temps presse. L’enjeu est vital.
Nous appelons les pouvoirs publics, les parlementaires européens, les agriculteurs, les chercheurs, les organisations engagées et les citoyens à se mobiliser pour construire cet outil de transparence et de progrès : un Ordre National des Conseillers Indépendants en Agriculture.